Comment mieux répondre, par la formation, aux besoins de l'industrie ? Jeudi 3 avril, des représentants du monde de l’emploi et de la formation ont été interrogés par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France. Le système de la formation professionnelle est régulièrement questionné sur son organisation et sa capacité à répondre aux besoins d’un secteur industriel peinant à réduire ses tensions de recrutement.
En témoigne la question posée par le rapporteur et député des Yvelines Charles Rodwell (Ensemble pour la République). Alors qu’en Normandie, la création de l’Université des métiers du nucléaire (lire notre article du 14 mars) semble conduire à des "résultats extrêmement positifs", il observe, à l’inverse, que malgré des investissements, les plateaux techniques de la filière de la plasturgie dans l’Ain restent "vides". En aval des formations, son corapporteur, le député de Moselle Alexandre Loubet (RN), a souligné, de son côté l’"évaporation" des personnes formées aux métiers industriels, qui quittent le secteur.
Sauf exception (lire notre article du 17 avril 2023), l’offre de formation, selon les acteurs du secteur, n’est donc pas la seule en cause, comme l’expliquait l’Inspection générale des affaires sociales dans un précédent rapport(Lien sortant, nouvelle fenêtre). C’est avant tout sur l’attractivité des métiers industriels qu’il faut agir. "Même si l’on démultiplie les salons, il faut parler aux prescripteurs que sont les parents", souligne Pascal Le Guyader, vice-président de l’Opco 2i, l’opérateur de compétences des métiers de l’industrie... Il faut aussi, selon lui, aider les enseignants de l’Éducation nationale à"déconstruire une image qu’ils ont eux-mêmes communiquée" sur l’industrie, longtemps vue comme un secteur pénible et fermé aux femmes.
L’orientation d’un public adulte vers les métiers de l’industrie exige aussi de bien diagnostiquer les besoins locaux afin d’apporter les bonnes réponses. C’est pourquoi la concertation locale joue un rôle majeur. "La population des demandeurs d’emploi est différente selon le bassin d’emploi. A Douai, on a une part d’allocataires du RSA de plus de 50%", illustre Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué en charge de l'offre de services de France Travail qui, en conséquence, parie sur les comités locaux pour l’emploi pour identifier, par exemple, les freins périphériques au retour à l’emploi. Pour féminiser l’industrie, les dispositifs qui permettent la découverte des métiers sont efficaces. "Lorsque les jeunes femmes testent les métiers et dépassent certaines idées reçues, ça fonctionne", ajoute Stéphanie Lagalle-Baranès.
L’alternance pour fidéliser les personnes formées
Les pertes d’effectifs liées aux départs des personnes formées vers d’autres métiers ou secteurs sont, quant à elles, une problématique commune, rappelle Hugues de Balathier, directeur général adjoint de France compétences. Néanmoins, pour limiter ce "taux d’évaporation", il faut privilégier des dispositifs qui "créent un lien immédiat avec l’employeur", comme les préparations opérationnelles à l’emploi ou l’apprentissage. Stéphanie Lagalle-Baranès confirme l'efficacité de l’alternance : "à l’issue des parcours en alternance, il y a 80% de taux d’insertion dans l’industrie. Et sur certaines promos, 100%". D’où l’importance, selon l’Opco 2i, de ne pas casser la dynamique de l’apprentissage, y compris dans le supérieur.
Autre dispositif de formation lié à une embauche utilisé par France Travail, la préparation opérationnelle à l’emploi est déjà utilisée dans l’industrie. Dans ce secteur, "beaucoup d’entreprises souhaitent avoir des formations les plus adaptées au poste possibles", souligne Aymeric Morin de France Travail. Un domaine sur lequel l’opérateur peut se coordonner avec certains conseils régionaux, comme les Hauts-de-France ou le Centre-Val de Loire.
Présent lors de l’audition, le député RN de la Somme, Jean-Philippe Tanguy, s’est montré peu convaincu. "C’est toujours les mêmes questions depuis vingt ans. Les mêmes métiers, les mêmes exemples", a-t-il déclaré, déplorant un manque de solutions innovantes. "Le niveau de tension est assez exceptionnel. Il y a quand même un contexte d’une bonne santé économique", a recontextualisé Aymeric Morin. "La formation n’est pas la réponse à tout", lui a rétorqué Pascal Le Guyader, indiquant qu’il est "sincèrement preneur de propositions".