Iniquité dans l’accès à la formation, concurrence des offres, difficultés de mise en œuvre (lire notre article), problèmes de "remplissage" des places disponibles : dans ses quatre précédents rapports, le comité scientifique d’évaluation du plan d’investissement dans les compétences (PIC) prévenait déjà, au fil de l’eau, des limites de cette politique lancée en 2018 sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Son ultime évaluation, publiée ce jeudi 10 avril, dresse le bilan définitif d’un programme "assez innovant dans son intention", comme l’admet le président du comité, Marc Gurgand, mais dont les effets apparaissent malgré tout mitigés ou pas encore totalement décelables au regard des ambitions, sommes et efforts investis. Il y a quelques mois, la Cour des comptes avait critiqué (lire notre article du 28 janvier) le classicisme du plan, éloigné des ambitions initiales pour élever le niveau de qualification des publics peu ou pas diplômés.
Hors CPF, environ 150 000 entrées supplémentaires par an
Hors CPF, le nombre d’entrées en formation financées par l’État et les régions a progressé de 24% entre 2017 et 2023, passant de 801.000 à près d’un million. Une progression d’abord liée aux programmes nationaux du PIC, qui ont représenté en moyenne 132.000 entrées supplémentaires par an. Le reste, financé principalement par France Travail et les régions, représente seulement 17.000 entrées supplémentaires chaque année. Un résultat modeste. Si les régions ont augmenté leurs volumes, France Travail a réduit "de façon presque proportionnelle les volumes qu’il finance, en grande partie en réponse au déploiement du CPF autonome", indique le rapport. C’est finalement le recours au CPF qui a été le plus massif parmi les personnes en recherche d’emploi, avec 370.000 recours au compte formation de manière autonome en 2023, après 569.000 en 2022.
Surtout, "la structure des taux d’entrée en formation ne change pas considérablement", rappelle Marc Gurgand, évoquant un "ciblage timide" en faveur des publics les moins qualifiés. Les pactes régionaux 2024-2027 ont corrigé cet écueil en ciblant plus strictement ces publics (lire notre article). Dans le cadre des précédents pactes, peu diplômés, bacheliers comme diplômés d’un bac +2 ou plus ont tous bénéficié de manière équivalente des nouvelles opportunités de formation. Or c’est sur les publics peu diplômés (infrabac ou bac non obtenu) que le "rendement" en termes de retour à l’emploi est le plus élevé. Deux ans après entrée en formation qualifiante, 56% des bénéficiaires du RSA sont en emploi, "un écart de près de 20 points de pourcentage comparativement aux non-formés, si l’on ne tient pas compte des différences de caractéristiques, et de 14,1 points en les contrôlant", indique le rapport. L’effet du PIC sur l’accès à l’emploi des jeunes, en revanche, est plus faible.
Une montée en qualification difficile
L’autre spécificité du PIC était d’avoir misé sur les formations "préparatoires" à la qualification, qui ont représenté 60% des formations financées sur la période. Ces formations regroupent les stages de remobilisation, de remise à niveau et de préqualification et ont été notamment portées par les programmes nationaux "Prépa apprentissage", "Prépa compétences" ou encore la prestation "valoriser son image professionnelle". Problème : dans les 12 mois suivant l’entrée dans ce type de dispositifs, seuls 13,8% des demandeurs d’emploi ont accédé à une formation qualifiante (certifiante ou professionnalisante).
"On n’a pas trouvé le moyen de réaliser cet objectif", admet Marc Gurgand. Selon lui, expliquer de tels résultats est "extrêmement compliqué". Différentes causes sont plausibles : réticence à la formation, priorité donnée au retour à l’emploi, lacunes trop importantes, déficit d’orientation par des prescripteurs, ou encore le manque de solution intégrée du côté des organismes de formation. Avec 25% de sorties vers une autre formation, le programme "Prépa compétence" affiche les meilleures performances. À noter aussi, des taux d’abandon "particulièrement élevés" dans ces dispositifs, avoisinant les 40% pour certains d’entre eux.
Des métiers en tension inaccessibles
Le PIC a-t-il permis de résoudre les difficultés de recrutement des entreprises ? Entre 2018 et 2023, la proportion de formations menant à des métiers en tension a augmenté, observe le comité scientifique. Cependant, le ciblage "n’a pas significativement progressé" et les formations ne se sont pas davantage concentrées sur les métiers les plus en tension. S’il n’est pas efficace d’augmenter les formations vers les métiers en tension peu attractifs et marqués par du turn-over, le comité scientifique observe qu’une partie des métiers en tension le sont pour des raisons tenant au niveau élevé de qualification exigé, inaccessible aux peu diplômés. Dans ce cas, le comité scientifique invite à "s’interroger sur le rôle de la formation professionnelle et sur l’évolution nécessaire de la formation initiale pour mieux répondre à ces besoins", un effort aujourd’hui "largement insuffisant".